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CLARA
Levez-vous, Mademoiselle, il faut se réveiller, c’est un grand jour!
Votre mère m’envoie vous apprêter, vous préparer à le rencontrer.
ADÉLIE
Clara, oh ma Clara, je vous bien que le jour de lève, mais tu me tires d’un si doux rêve! Oui, cette nuit…
CLARA
Quoi, cette nuit ? Quoi donc, cette nuit?
ADÉLIE
Tel la plume d’un colibri, un doux songe s’est déposé dans mon esprit. Un doux songe non pas de liberté, mais d’un amour pur et engagé. Songe au visage d’ange, songe bien étrange. J’aimerais tant connaître le nom de cet être. Son regard était perdu, puis je l'ai trouvé. Ses yeux passionnés m’ont traversée, tels un oiseau cherchant ce qui en moi était caché. Pourquoi faut-il se réveiller ? Pourquoi faut-il se réveiller?
CLARA
Voyons, Madame! Je vous prie de ne faire attendre plus longtemps votre famille.
ADÉLIE
Ses yeux angéliques, son sourire espiègle. Il me guidait vers le ciel, tel un aigle. Je cherchais à prendre une main bien tendre. Pourtant je m’éveille, sans amour, toute seule.
CLARA
Chère Adélie, oubliez ce rêve. Laissez-ici votre cœur et vos émois. Votre mère arrive, il me semble, oui, je l’entends venir. Aussi, je me retire et vous laisse l’attendrir.
ADÉLIE
Ah! Que m'ennuie cette douce matinée !
Les oiseaux chantent et le soleil est haut.
Le temps est clément, le printemps à son apogée,
Mais mes songes s’enfuient, s'évaporent peu à peu.
Le ciel se voile, non, ce n’est qu’un nuage.
Un joli nuage, un nuage de nacre.
Mais hélas, hélas, hélas, hélas!
Rien ne peut, hélas, rien ne peut altérer
Le morne caractère de cette réalité.
Ah! Que m'ennuie cette douce matinée !
Les bosquets frissonnent et les feuillages bruissent.
La brise est douce, elle caresse ma peau.
Mais, je suis lasse de vivre dans ce château.
J’en ai assez de toute cette beauté!
Comment puis-je continuer à vivre dans cette prison, oui cette prison dorée ?
Je rêve d’aventure, je rêve d’amour. Et de liberté, oui, de liberté
Et… Tel la plume d’un colibri, un songe s’est déposé dans mon esprit. Un songe, non pas de liberté, mais d’un amour pur et engagé. J’aimerais tant connaître le nom de cet être.
EMMA
Adélie ? Adélie ? Que faites-vous encore au lit ? Que faites-vous encore au lit ? Adélie!
ADÉLIE
Mère, je me repose et je profite avec passion de cette matinée et de la douceur du jour!
EMMA :
Enfin, ma fille ! Ne voyez-vous pas l’heure s’envoler ?
ADÉLIE
Mère, je n’ai rien vu. Que des rêves emportés.
EMMA
Ne soyez pas insolente, ne soyez pas insolente ! Et veuillez donc vous lever, vous coiffer et vous habiller. Car c’est aujourd’hui que votre père rencontre le beau Julian de Brémond.
ADÉLIE
Et quel rapport avec moi ? Et pourquoi de si bon matin?
EMMA
Enfin, Adélie ! Ce garçon n’est pas anodin!
ADÉLIE
Enfin, mère, que me chantez-vous ? Feriez-vous de mon père un jaloux ?
EMMA
Ne soyez pas idiote ! Levez-vous sans tarder. Préparez-vous, nous l'accueillerons bientôt. Je vous veux apprêtée. Il ne faut pas faire attendre un homme de cette envergure.
ADÉLIE
Un homme de cette envergure ? L’avez-vous seulement rencontré ?
EMMA
Hélas non. Mais tout le monde sait qui il est et vous aussi, vous devriez savoir ce qu’il a fait.
ADÉLIE
Vraiment ? Qu’a-t-il fait de si grand dans sa vie, et qu’a-t-il accompli qui mérite tant de bruit ?
EMMA
C’en est assez, vous me fatiguez ! D’un instant à l’autre, notre invité va arriver. Alors préparez-vous, non sans plus de questions, ou vous serez consignée dans votre chambre jusqu’au réveillon.
Adélie ajuste une barrette dans ses cheveux, Graham et Johann s’apprêtent à entrer.
ADÉLIE
Ce Julian, a-t-il sauvé un homme ou une femme ?
EMMA
Certainement pas.
ADÉLIE
Vaincu une armée ?
EMMA
Ah! Cessez donc cette folie, vous êtes ridicule !
GRAHAM
Qui est ridicule ?
EMMA
Votre fille ! Elle refuse d'admettre qu’un homme puisse être estimé par son héritage plutôt que par ses actes.
ADÉLIE
Je ne vois pas en quoi il est honorable d’être simplement né dans une bonne famille. La seule chose valable que ce jeune homme ait faite, c’est de survivre toutes ces années dans la pauvreté sans savoir qui était son vrai père.
EMMA
Vous savez donc qui il est ! Pourquoi feindre l’ignorance ?
ADÉLIE
Parce que vous me divertissez, mère. Mais je dois bien admettre qu’une chose me travaille à son sujet. Pourquoi personne n’a-t-il remis en question ce que racontait ce "Julian" ? Ce garçon surgit de nulle part et prétend être le fils de l’homme le plus riche du pays, et tout le monde se contente de le croire ?
Johann se joint à eux.
JOHANN
Adélie ! Charles de Brémond est un homme sage et avisé ! Il a soumis Julian à un interrogatoire et les preuves ont parlé.
ADÉLIE
Des preuves, Johann, mais quelles preuves ? Peut-être une tache de naissance en forme de fumée toxique ?
JOHANN
Très spirituel…
ADÉLIE
Ou des empreintes d’ombre de vies fauchées ?
JOHANN
Sachez une chose, ma chère sœur : il a été décidé que vous le rencontriez avec nous car père et mère estiment que vous serez assez séduisante pour l’inciter à épouser quelqu’un de notre rang. Mais je pense qu’ils se trompent. Même avec tout le charme du monde, votre âme reste aussi sèche que les pages de vos romans.
GRAHAM
Johann, cela suffit !
JOHANN
Pardonnez-moi, père.
GRAHAM
Ta sœur a des opinions différentes, certes. Mais c’est justement ce qui fait sa plus grande qualité. Un homme qui ne voit pas cela, peu importe sa richesse, ne la méritera jamais.
ADÉLIE
Merci, père.
GRAHAM
Quant à toi, réfléchis avant de parler. Cesse tes joutes vaines et prosaïques, nous n’avons guère d’appétit pour tes critiques.
ADÉLIE
Oui, pardonnez-moi, père.
GRAHAM
Julian arrive, il est juste là-bas. Je vous prie de vous comporter correctement et de rester séants. Tous les deux.
GRAHAM
Monsieur de Brémond, par ici !
ADÉLIE
Julian ! Oh, mais c’est ce garçon. Celui qui cette nuit est venu dans mes songes.
EMMA
Adélie ! Cessez cette folie !
GRAHAM
Cher Monsieur, je vous prie d’excuser ma fille. Elle me semble, ce matin, vivre dans un autre monde.
JULIAN
Ne vous excusez pas, Graham, mon ami. Rencontrer votre famille est un honneur, présentez-moi, je vous prie.
GRAHAM
Naturellement. Voici ma femme, Emma.
EMMA
Je suis enchantée, jeune homme, de vous rencontrer enfin.
JULIAN
Tout le plaisir est pour moi, Madame croyez-le bien.
GRAHAM
Mon fils, Johann.
JOHANN
C’est un honneur.
JULIAN
Je vous en prie, Monsieur, je suis ravi.
GRAHAM : Et ma fille, Adélie.
Julian embrasse délicatement la main d’Adélie, puis ils prennent tous congés à l’exception de Graham et Julian.
GRAHAM
Julian, votre père voit en vous des atouts d’exception. Votre poste à venir revêt une grande ambition.
Julian est dans la lune, toujours en train de regarder dans la direction d’Adélie. Graham claque des doigts devant lui pour attirer son attention. Julian sursaute.
JULIAN
Pardon, que disiez-vous ? Je m'étais perdu un instant.
GRAHAM
Julian, votre potentiel et votre rôle sont sujets de discorde, des plans nouveaux s’ouvrent devant vous, que l’on aborde.
JULIAN
Je ne désire que prouver ma valeur, être à la hauteur.
GRAHAM
Sous ma houlette, vous apprendrez l’art de la diplomatie, un chemin vers les affaires entre nos différentes compagnies.
JULIAN
Mais il me semblait être en charge de la supervision des travailleurs. N’était-ce pas la tâche que voulait me confier le directeur?
GRAHAM
Votre père a d’autres ambitions pour vous. Il préfère un rôle social qui sera plus à votre goût.
JULIAN
Mais…
GRAHAM
Je serai chargé de ladite mission. Vous m’observerez et m’assisterez en attendant votre transition.
JULIAN
Je pensais…
GRAHAM
Et dans quelques années, ma retraite s’esquissera à l’horizon. À ce moment, vous pourrez certainement prendre ma place. Quelques années plus tard, celle de votre père sans l’ombre d’un doute.
JULIAN
Pourtant…
GRAHAM
Oui, qu’y a-t-il ? Quelque chose vous chagrine ?
JULIAN
Mon père m'avait promis la supervision des travailleurs. Cette tâche qu’il m’attribuait était chère à mon cœur.
GRAHAM
Pourquoi cette idée ? C’est un travail rude et rébarbatif ! S’il y a des doutes, parlez-lui, mais soyez vif. Car ce sont ses mots qui seront décisifs.
JULIAN
C’est entendu, je vais lui en parler de ce pas. Je vous remercie pour votre soutien et vos conseils, ce fut un plaisir.
GRAHAM
Le plaisir fut le mien. Mais sachez une chose, jeune Julian : si votre père refuse votre requête ou que vous changez d’avis, je vous attendrai ce lundi au Parc Williams.
JULIAN
Je vous remercie Graham. J’y réfléchirai.
GRAHAM
Ne m’ont pas échappé la tendre fascination que vos yeux dévoilent pour ma fille. Elle sera là lundi, peut-être pourra-t-elle vous éclairer dans cette décision fragile.
Il part puis on a une transition musicale dans laquelle Julian se retrouve dans le bureau de Charles.
CHARLES
Entre, mon fils, entre. Que puis-je pour toi?
JULIAN
Je me questionne sur votre choix de me placer dans la diplomatie, en lieu et place du poste que j'avais espéré, de tout cœur, j'imaginais…
CHARLES
Votre intérêt se porte-t-il donc sur ces travailleurs, ces vies dévolues ?
JULIAN
Ce sont des êtres humains qui…
CHARLES
Depuis que tu m’as retrouvé, Julian, j’ai grand peine à comprendre comment mon sang peut couler dans tes veines. Nous sommes de noble lignée, notre fortune est immense. Comment t’es-tu retrouvé, naïf, pleins de vaines croyances ?
JULIAN
En vivant en marge, dans la pauvreté. En luttant pour survivre aux méandres de cette cité.
CHARLES
Mais tu as émergé, promis à un grand destin ! Pourtant tu sembles altéré par la souffrance des autres humains. Apprend une chose, mon fils : un berger veille sur son troupeau. Un roi, lui, cherche à conquérir le monde, fier et beau. Quel chemin, désires-tu suivre ? Veux-tu encore simplement continuer à survivre ?
JULIAN
Mais un roi sans peuple n'est rien.
CHARLES
Oh, nous l’avons, le peuple, sache-le bien.
Qu’importe qu'il souffre ou prospère, il a besoin de notre main. Des milliers, des millions d'affamés dans les rues. Penser pouvoir tous les sauver, c'est méconnaître l’issue.
JULIAN
Je suppose que vous avez raison, père.
CHARLES
Mon fils, retiens ceci : laisse la misère à ceux qui y gisent. En tant que roi, tu règnes, tu guides, tu décides.
JULIAN
Père, je vous en prie, croyez en ma volonté. Jusqu'ici j'ai survécu parmi les plus faibles, déterminé. Votre entreprise, je la porterai sur mes épaules, pour les années à venir. Que Dieu m'éloigne du piège de la faiblesse et que ma foi ne faiblisse pas dans cette noblesse.
…
Julian se rend au parc, où il aperçoit Graham.
GRAHAM
Ah, jeune homme, vous voilà ! Je vois que vous avez changé d’avis sur ce métier qui jusqu’ici ne vous tentait pas. Cela ne vous pose-t-il aucun souci ?
JULIAN
Je crains d’avoir causé quelques tracas mais j’espère que cela ne vous dérange pas.
GRAHAM
Me déranger ? Au contraire, je suis ravi de vous voir embrasser cette voie. Mais parlons affaires, si vous le voulez bien.
JULIAN
Que devons-nous faire en ce lieu, si serein ?
GRAHAM (Veillant à la discrétion)
Voyez là-bas, sous l’arbre, cet homme en gris, c’est le représentant de l’entreprise Carlson. Leur société habille notre pays. Plus loin, voyez-vous cet autre visage ? C’est celui de l’entreprise Smith, parlant avec ma femme, que vous avez rencontrée.
JULIAN
Et quel est le lien qui nous unit à eux ?
GRAHAM
Nous produisons leur source d’énergie. Sans nous, leurs machines s’arrêteraient, leur production ralentirait. Notre accord est vital, le comprenez-vous ?
JULIAN
Il s'agit donc de renouveler ce lien ou d’en forger un nouveau, mieux adapté ?
GRAHAM
Exactement. Les entreprises Carlson et Smith s’étendent. Elles veulent produire plus et nous le demandent. Votre père pense augmenter leur tribut. Cent mille livres par semaine, un prix plutôt doux. Mais moi, j’ose rêver plus grand : Cent cinquante mille, cela me semble évident.
JULIAN
Cent cinquante mille ? Cela paraît énorme ! Que leur offrons-nous en retour, pour une telle somme ?
GRAHAM
Au contraire, c’est un geste clément. Pour cette somme, nous leur donnons grandement. Toute l’énergie dont ils ont besoin. En échange, ils prospèrent. Cent cinquante mille, c’est un rien, comparé à ce qu’ils gagnent, soyez-en certain.
JULIAN
Ces entreprises sont-elles nos plus gros clients ?
GRAHAM
Loin de là, jeune homme, loin de l’entendement ! Tous ces grands bâtiments crachant leur fumée noire ont un contrat avec nous pour maintenir leur gloire.
JULIAN
Alors pourquoi accorder tant d’importance à un contrat d’une simple centaine de mille, en apparence ? Notre compagnie vaut bien des millions, je suppose ?
GRAHAM
Des milliards, Julian, des milliards grandioses, mais vous avez raison de poser la question, car ce contrat n’est pas la vraie raison. Voyez cet homme, là-bas, avec ses lunettes, qui parle et note sans cesse ses pensées nettes. Sebastian Cample, ce journaliste avisé, contrôle l’opinion de toute notre société. Il a écrit du bien de nous jusqu’ici, mais une plume peut tourner, sans merci.
JULIAN
Il faut donc s’assurer qu’il reste satisfait.
GRAHAM
Mieux encore, Julian, écoutez-moi bien. Vous êtes le fils retrouvé, sorti de l’ombre des rues. Jouez mal vos cartes et votre père paraîtra comme un monstre impitoyable qui abandonne son sang à un sort lamentable. Jouez-les bien, et vous deviendrez icône, un symbole vivant que la fortune couronne.
JULIAN
Je comprends. Il s’agit donc de rencontrer ce journaliste et incarner l’enfant prodigue, recueilli par le puissant millionnaire ?
GRAHAM
Ne soyez pas si cynique, mon cher. Votre père est milliardaire, pas simple millionnaire. Mais oui, vous avez saisi l’enjeu. Allez parler à cet homme et faites-le bien, je vous en somme.
JULIAN
Je m’y rends de ce pas, merci de votre conseil.
GRAHAM
Allez, Julian, je vous laisse. Montrez-leur de quoi vous êtes fait.
JULIAN
Sebastian, n’est-ce pas ?
SEBASTIAN
C’est moi.
Je suis Sebastian, plume alerte,
Journaliste d'exception, bien averti,
Le peuple me chérit, la presse me salue,
Car c’est moi qui murmure à l’oreille du pays !Je danse entre les lignes,
Je jongle avec les mots,
De la haute société aux ruelles des faubourgs,
Je transforme les rumeurs en échos,
Les secrets en vérités, les scandales en atouts.On me dit dangereux,
Craint par les puissants,
Car un mot de ma plume,
Peut faire trembler un géant.
Mais n’ayez crainte, je suis juste et honnête,
Je ne cherche que la vérité, la lumière en quête !Les nobles et les riches, ils me redoutent,
Car je leur rappelle qu’ils ne sont que des hommes.
Les petits, les oubliés, eux me saluent,
Car ma plume est leur épée, leur bouclier, en somme.Je suis le miroir et le reflet des âmes,
Celui qui capture les joies et les drames.
Alors si vous avez un secret, une vérité à dire,
N’oubliez pas, c’est à moi qu’il faut s’ouvrir !Car je suis Sebastian, voix du peuple et de la presse,
Qui transforme en mélodie, les murmures et les détresses.
Alors chantez, chantez, puissants et misérables,
Car demain dans vos salons, mon nom résonnera, inébranlable !Par ma plume, mais quant à vous, vous devez être Monsieur de Brémond!
JULIAN
Appelez-moi Julian, je vous prie. Je ne viens pas ici pour faire tant de bruit.
SEBASTIAN
Julian, le célèbre fils prodige. Celui qui a vécu là où tant ont péri.
JULIAN
Est-ce ainsi l’opinion que l’on donne de moi ?
SEBASTIAN
Les gens adorent embellir le dramatique. Ils aiment en faire une tragédie, c’est dans leur nature.
JULIAN
Mais sans tous ces gens, que penseriez-vous ?
SEBASTIAN
Sans eux, mais que voulez-vous dire ? Mais je ne serais rien, si je ne peux les servir.
JULIAN
C’est fort honorable, évidemment. Mais j’aimerais connaître votre opinion, si nous étions tous deux seulement. Loin de tous les regards, loin de tous les égards ?
SEBASTIAN
Me permettez-vous d’être honnête, de vous parler sans détour ?
JULIAN
C’est même cela ce que j’attends de vous.
SEBASTIAN
Dans ce cas, écoutez-moi bien. Ouvrez vos esgourdilles, et ouvrez-les bien ! Je penserais que c’est une tristesse que vous soyez le seul à avoir échappé à cette misère qui engloutit Newchester. Alors que chaque jour, dans les rues, tant d’autres périssent sans espoir, sans jamais voir l’aube d’un nouveau départ.
JULIAN
Pour être franc avec vous, je partage ce sentiment.
SEBASTIAN
Parlez-vous sérieusement ? Vous, le fils de la plus grande fortune ? Vis à vis de votre père, éprouveriez-vous rancune ?
JULIAN
Ah mon père, le grand Charles de Brémond. Il se passe des choses étranges, dans l’entreprise de mon père. Des choses qui ne devraient pas exister dans ce monde que l’on dit éclairé.
SEBASTIAN
Que dites-vous là ? Vous attisez ma plume, dites m’en plus!
JULIAN
Pas ici, pas maintenant, monsieur le journaliste. Mais donnez-moi un lieu et une heure et je vous dirai tout.
SEBASTIAN
Demain, dix heures, ici même ?
JULIAN
C’est convenu.
JULIAN
Ce fut un plaisir de vous rencontrer.
SEBASTIAN
Le plaisir est pour moi.
JULIAN
Sebastian, une dernière chose je vous prie. Si un mot de notre échange venait à se répandre, vous pourrez considérer votre carrière comme terminée. Il est crucial que mon père ne sache rien de ce que je m'apprête à vous dire demain. Il n’est pas encore temps, mais bientôt vous pourrez divulguer les atrocités de sa société. Mais d’ici-là tenez-vous en aux faits divers du moment. Ai-je été clair et limpide ?
SEBASTIAN
Comme de l’eau de roche, Julian.
Julian marche sans réfléchir, droit vers la sortie du parc. Adélie l’aperçoit.
ADÉLIE
Julian ? C’est bien vous. Je n’étais pas certaine de vous reconnaître, au loin.
JULIAN
C’est bien moi, belle Adélie. Avez-vous besoin de quelque chose ?
ADÉLIE
Non! Je… Enfin, si… Mon père m’a chargé de vous donner ce billet. Votre ordre de mission pour la semaine à venir.
Elle tend un morceau de papier. Leurs mains se touchent, s’effleurent un instant. Adélie sourit et Julian semble lui rend son sourire avec tristesse, caresse sa joue puis détourne les yeux.
JULIAN
Pardonnez-moi, je n’aurais pas dû, c’était maladroit et inapproprié
ADÉLIE
Je vous ai souri, Julian, la maladresse était de mon fait.
JULIAN
Non, mon comportement est déplorable. Je vous prie de m’excuser, ce n’était pas convenable.
ADÉLIE
Monsieur de Brémond, vous ne me devez rien. Vous ne m’avez causé ni malaise ni chagrin.
JULIAN
Alors pourquoi m’appelez-vous soudainement ainsi ?
ADÉLIE
Je l’ignore, vous me paraissez distant tout à coup. Notre regard langoureux n’était-il pas à votre goût ?
JULIAN
Distant, oui sans doute je dois le paraître.
ADÉLIE
Pourquoi Julian ? Pourquoi vous montrer froid et lointain ? Je pensais en effleurant votre main…
JULIAN
Adélie, Ô Adélie. Je vous prie de me croire. Vous me plaisez, ma foi, bien plus que vous n’oserez l’imaginer. Pourtant c’est insensé, je ne vous connais qu’à peine. Mais votre grâce dépasse les nuages de mes jours, les étoiles de mes nuits. À votre vue, mon cœur a ressenti l’inexplicable.
ADÉLIE
Vraiment Julian, êtes-vous sincère ?
JULIAN
Plus que je ne le voudrais, oui, mais ce serait une erreur. C’est une passion qui me ronge le cœur, un élan que je dois réprimer dans l’heure. Car je ne pourrai vous apporter que peine et douleur. J’aimerais tant n’avoir aucun sentiment pour vous. Que mon cœur soit de pierre, que mon sang soit de glace.
ADÉLIE
Pourquoi donc, Julian, pourquoi réprimer ces sentiments que je pourrais partager ?
JULIAN
Parce que je ne suis pas ce que vous croyez. Je ne serai homme sur qui vous pouvez compter.
ADÉLIE
Mais je vous aime, Julian et je vous prie de cesser. Acceptez vos sentiments, si vous pensez m’aimer. Quel obstacle se dresse devant vous ? Pourquoi me tenir ainsi à l’écart, loin de vous ?
JULIAN
Je ne peux vous donner de réponse à cette question. Si vous saviez, vous ne pourriez m’aimer, ni même me regarder. Votre regard flamboyant d’amour viendrait alors à s’éteindre, tel l’astre du jour. Aussi, je vous laisse en paix, oubliez-moi vite, et trouvez un homme qui vous mérite.
Julian s’enfuit et Johann arrive.
JOHANN
Que vous arrive-t-il, chère sœur ? Vous me semblez si triste, si pleine de rancœur. Père vous a-t-il dit quelque chose de blessant ? Est-ce la rencontre avec notre nouveau collaborateur ? Vous me semblez troublée, une ombre passe sur votre visage.
ADÉLIE
Non… Enfin, si… Julian m’a confié ses sentiments.
JOHANN
Je vous demande pardon ? Êtes-vous certaine de l’avoir compris ? Cela me paraît insensé. Il ne vous connaît pourtant pas.
ADÉLIE
Peu importe, de toute façon. Grande est ma tristesse car il se refuse à m’aimer. Il rejette ses propres sentiments et il m’a rejetée.
JOHANN
Je le comprends.
ADÉLIE
Je vous demande pardon, mon frère ? Nous avons certes nos différends, mais nous restons du même sang et, malgré moi, je vous aime. Pourquoi cette cruauté ?
JOHANN
Vous vous méprenez, Adélie, je comprends ce que vous ressentez. Mais en toute honnêteté, je comprends sa décision car il pourrait faire bien mieux.
ADÉLIE
Mieux ? Je ne vous comprends guère, Johann. Que voulez-vous dire par là ?
JOHANN
Une demoiselle plus riche, d’une famille plus fortunée. C’est l’héritier le plus riche de Newchester et il ne peut se permettre d’épouser un parti qui n’est pas à la hauteur de son rang.
ADÉLIE
Ainsi donc, aurait-il choisi l’argent, plutôt que moi, préférant ses lingots à mon cœur en émoi?
JOHANN
Oui, c’est pour moi l’évidence. L’argent a son attrait, bien plus de valeur en substance que l’amour d’une jeune fille qui s’est amourachée. C’est pour ça qu’il a voulu vous éloigner.
ADÉLIE
Mais pourquoi m’a-t-il dit que, le connaissant mieux, je ne pourrais plus le voir d’un regard amoureux ?
JOHANN
Il voulait dire que vous êtes trop naïve et qu’il ne peut vous offrir une relation affective.
ADÉLIE
Le croyez-vous vraiment ? Que je ne pourrais m’adapter, vivre dans son monde à lui ? Qu’il veut me protéger et que pour cela, il m’a fui ?
JOHANN
Il me semble évident qu’il préfère rester seul. Il a rejeté vos sentiments, cela devrait vous suffire.
ADÉLIE
Que faire alors, de ce déluge de pensées ? Que faire, quand mon cœur est ainsi enchaîné ?
JOHANN
Vous me semblez bien troublée ce soir. Je vous laisse à vos pensées, en espérant qu’au matin vous aurez oublié ces émotions absurdes qui vous ont tourmenté.
ADÉLIE
Oh Seigneur ! Oh Seigneur !
Un étrange tourment m’envahit !
Est-ce lui ?
Est-ce moi ?
La folie s’en est prise à mon âme !
Il dit m’aimer, mais je sens qu’il me fuit
Je dis l’aimer, mais je ne sais ce qu’est l’amour
Tout ce que j’en sais me dépasse tant.
Et pourtant, une étrange passion m’envahit !
Un tourment, une passion
Des pensées noires, mais des palpitations !
Comme une tempête dans mon coeur
Une tempête remplie de fleurs
De couleurs, d’ardeurs
Comme un feu,
Brûlant mais captivant
Je le vois devant moi,
Son visage, son sourire et la musique,
Oui, la musique qui envahit mon âme
Chaque fois que je pense à lui.
Sa musique, qui résonne en moi la nuit,
Son absence dans mon cœur comme une larme.
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